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Milfontes, entre enfer et paradis

Parmi les nombreuses escales que nous avons faites au cours de nos croisières, il en est quelques unes qui nous ont marqué à un titre ou à un autre. Dans le genre exceptionnel, je vais vous raconter l’escale à Milfontes au Portugal du 7 au 11 décembre 1985 avec Diamantina. Nous venions de Sines, à 15 milles au nord, d’où nous avions appareillé 3 heures plus tôt.

Milfontes est situé à l’embouchure d’une rivière dont l’entrée est défendue par une barre impressionnante, au point que les pêcheurs ne prennent pas le risque de sortir de tout l’hiver. Bien sûr nous n’avons appris ce « détail » que plus tard. Nous avons eu du mal à trouver la passe, nous avons dû approcher très près de la plage et les rouleaux nous bousculent pas mal au franchissement de la barre, profondeur de 1m60 seulement, alors que notre tirant d’eau est de 1m20. La mer est calme, mais le peu de houle résiduelle lève des gros rouleaux. Un équipier, Jacques, renforce l’équipage depuis Bordeaux, il est venu travailler ici, il y a quelques années, c’est un peu un pèlerinage pour lui et il s’en souviendra longtemps ! Le lendemain, nous décidons de profiter du temps calme pour ressortir, il fallait éviter de rester coincé ici tout l’hiver, même si l’endroit est charmant. Je suis allé observer la barre depuis la terre avant d’appareiller, il m’a semblé que la sortie était possible dans les moments de calme, toutes les 7 vagues. A midi, on se présente devant la barre, je suis à la barre et Jacques est à l’étrave tribord pour me guider. Depuis le bateau les vagues paraissent énormes, j'estime leur hauteur à 3 m, et j’attends le bon moment pour m’engager. Plein gaz, on se présente dans la passe, mais pas de temps mort, les vagues continuent de déferler, des véritables murs d’eau nous tombent dessus en nous rejetant en arrière à chaque impact. Pas d’autre solution que de continuer, il est impossible de faire demi tour, on serait jeté sur la plage toute proche, je fonce dedans. Jacques qui s’est fait submerger par les 2 premières vagues est revenu s’abriter dans le cockpit. C’est là qu’il se rend compte qu’il a un doigt coupé, le bout de son annulaire droit a disparu ! Enfin on sort de cet enfer, la mer est calme maintenant, il faut décider de continuer ou de revenir. Les escales possibles avec un hôpital sont Setubal au nord ou Lagos au sud, trop loin (60 milles), trop long (12 heures pour Diamantina), je décide de repasser la barre pour faire soigner Jacques au plus vite. Avec les vagues dans le dos, nous revenons sans encombre à Milfontes, les habitants s’étaient massés près du phare pour nous regarder passer la barre, ils ont cru que nous avions perdu un membre d’équipage, le bateau se cabrait à 45° à chaque vague. Aussitôt, les secours s’organisent, le médecin n’est pas là, un habitant nous emmène au dispensaire d’Odemira à 25km, qui n’est pas équipé. Les pompiers nous emmènent à l’hôpital de Beja (120 km) où le chirurgien referme la plaie sans pouvoir recoudre le bout de doigt que nous avions récupéré dans le balcon avant. Nous avons pensé à l’évacuation sanitaire par avion en France pour recoudre le doigt, mais Jacques a choisi de rester pour continuer la croisière avec nous. Je passe sur les suites de la blessure et les déplacements à Odemira ou à Beja pour les soins, et l’accueil remarquable de gentillesse de la population, il y aurait matière à roman. Il nous fallait repasser la barre pour nous échapper de ce piège au plus vite. Le 10 décembre, je décide de retenter la sortie, profitant que Jacques est parti à Beja, il nous rejoindra demain à Lagos si nous ne sommes plus là à son retour. J’ai hésité longtemps en regardant la barre depuis le phare, il y a bien des accalmies toutes les 7 vagues, je comprends qu’il faut ralentir au moment de l’impact dans les vagues. J’attends l’après-midi et on y va, on n’échappera pas aux murs d’eau, mais le fait de stopper devant la vague et d’accélérer derrière nous permet de passer plus en douceur ! Je pousse un ouf de soulagement, ce fut le moment le plus dangereux de nos navigations. La mer est calme avec une belle houle, le vent est faible, c’était le bon moment. Nous récupérerons Jacques à Lagos le lendemain, il nous a vu franchir la barre depuis le bord et a fait le voyage en stop. Il est devenu une vedette à Milfontes où tout le monde doit se souvenir du petit français de Diamantina et de son doigt coupé. Nous avons continué notre croisière vers Madeire puis les Canaries avec notre Jacques convalescent et qui s’est fait choyer par toute la famille. Il est resté notre ami et doit repenser à nous chaque fois qu’il se gratte le nez !

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